Pourquoi "dire" son travail ? Et pourquoi rapporter les récits de ceux qui le disent ? Pour l'ergonome Christine Depigny-Huet, qui œuvre au sein de la coopérative "Dire, le travail", c’est notamment une étape "importante, sinon nécessaire, pour construire collectivement les solutions susceptibles de transformer le travail".
Dans le dernier numéro de la revue des conditions de travail de l’Anact consacré à l’expression sur le travail à travers le récit, Christine Depigny-Huet, docteure en ergonomie, et Pierre Madiot, ancien enseignant, témoignent de leur expérience au sein de la coopérative "Dire le travail".
► Pour Christine Depigny-Huet, qui a été pendant des années chargée de mission santé-sécurité dans une grande entreprise, ces récits à la première personne permettent une réappropriation individuelle du travail. |
Christine Depigny-Huet : Beaucoup de travailleurs que nous avons rencontrés n’oseraient pas se lancer dans l’écriture de leur travail. Les collecteurs, spécialistes des questions du travail et de l’écriture, suivent, chacun à leur manière, le protocole construit par Dire Le Travail : entretien, transcription de l’enregistrement, mise en récit, relecture entre membres de la coopérative, validation du récit définitif par la personne rencontrée – avant autant d’allers-retours que nécessaire. C’est un travail d’échanges entre le collecteur, qui met en récit le travail, et celui qui raconte son travail. Le récit est signé par la personne, le narrateur, parfois sous un pseudonyme. Les récits sont rendus publics, mis en ligne sur internet ou publiés dans un ouvrage comme celui consacré à la parole des cheminots (1), afin d’être portés à la connaissance de tous.
Christine Depigny-Huet : Lorsqu’il est question de travail dans les débats sociaux, c’est la plupart du temps autour des problématiques d’emploi ou de protection sociale. On fait trop souvent l’impasse sur ce que les travailleurs mettent d’eux pour effectuer leur travail, la manière dont ils résolvent les problèmes, leurs savoirs, leurs émotions, leurs vécus… Personne ne leur demande ce qu’ils ont à dire d’une bonne journée de travail ou au contraire d’une journée cauchemardesque. Les productions écrites sur le travail sont souvent celles d’experts, de journalistes, d’artistes ou de représentants syndicaux. Avec un récit en "je", l’activité du travailleur prend pour le lecteur, et pour le travailleur lui-même, une force que n’aura aucun discours surplombant. Le premier enjeu est de rendre visible et de valoriser l’intelligence du travail réel.
Christine Depigny-Huet : Les récits de travail sont des ressources à la fois individuelles et collectives pour celles et ceux qui font le travail. Raconter son travail permet à la personne de reprendre la main sur son travail : elle va expliquer ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait, prendre conscience des stratégies professionnelles qu’elle a pu élaborer, peut-être en trouver de nouvelles. Cela peut aussi aider la personne à retrouver le sens de son travail. Je citerai l’exemple d’un cheminot, qui ne pouvait plus exercer son précédent emploi à la suite d’une inaptitude physique. Il vivait son reclassement dans un magasin comme une mise au placard. En nous racontant ce qu’il faisait au quotidien, il a pris peu à peu conscience de l’importance de sa nouvelle activité pour ses collègues. Chaque rencontre nous confirme que dire son travail remplit une fonction importante pour celui qui raconte. S’exprimer sur son travail est une opportunité rare, qui amène souvent le travailleur à découvrir des aspects de lui-même et de son activité dont il n’avait pas pleinement conscience.
Christine Depigny-Huet : Les solutions pour transformer le travail, tant pour la santé des travailleurs que pour la performance de l’entreprise, relèvent d’une élaboration collective. Notre expérience nous laisse penser que le passage par le "je" est une étape nécessaire pour retrouver un vrai "nous". Autrement dit, c’est la réappropriation individuelle de son propre travail qui va permettre d’envisager une résolution collective des problèmes. Aujourd’hui, pour prévenir les facteurs de risques psychosociaux, il est beaucoup question d’espaces de discussion sur le travail, son contenu et son organisation. L’ouvrage dédié aux récits des cheminots pourrait être à mon sens un outil précieux pour discuter du travail à la SNCF. Notre démarche pourrait être pertinente pour des préventeurs, à la condition de poser un cadre et de penser son ingénierie.
(1) Le train comme vous ne l’avez jamais lu. Paroles de cheminots. Coopérative Dire le travail. Les Éditions de l’atelier, octobre 2019
HSE
Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement.
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